Depuis la mise en place des premiers accords de Bâle dans les années 90 (Bâle I datant de 1988), visant à encadrer la gestion des risques et fonds propres des banques, ces dernières se sont progressivement retirées de segments croissants de l'économie, sous l'effet de réglementations rendant certaines activités économiquement non viables pour elles. Face à ces restrictions croissantes, le marché des leveraged loans, qui finance des opérations telles que des acquisitions ou des rachats par effet de levier (leveraged buyouts), a particulièrement souffert. En conséquence, des pans entiers de l’économie ont dû se tourner vers d’autres sources de financement, soit pour poursuivre leur développement, soit pour refinancer leur dette existante.
L’émergence des crédits tactiques : une réponse aux besoins délaissés par les banques
Des pans entiers de l'économie se sont alors tournés vers d'autres sources de financement pour continuer à se développer, ou même simplement pour refinancer leur dette existante. Ce vide laissé par les banques a ouvert la voie à la dette privée, un secteur désormais en plein essor, porté par des fonds d’investissement prêts à combler ce manque de financement. Bien que les fonds de dette privée et les banques collaborent parfois de manière complémentaire, c’est avant tout le retrait de ces dernières qui a catalysé l’émergence de ces nouveaux acteurs.
Parmi les stratégies de dette privée, la dette dite «tactique », également appelée « crédits opportunistes » ou « situations spéciales », s'adresse aux entreprises dont la complexité ne peut être traitée que par des acteurs spécialisés. Les banques et les marchés financiers, via l’émission d’obligations, sont très adaptés à des situations standardisées : excellentes notations de crédit, taille importante de l’entreprise, et termes de financement relativement simples.
Ces financeurs ne peuvent pas répondre aux besoins spécifiques de ces entreprises complexes. La différence entre ces deux modes de financement est comparable, mutatis mutandis, à la différence entre l'achat d'un costume sur mesure et l'achat de prêt-à-porter.
Diverses raisons peuvent pousser une entreprise à opter pou rune solution sur mesure, même si elle est plus coûteuse, car l'adaptation parfaite à sa situation est le critère essentiel.
Parmi ces raisons, on retrouve :
- La refonte complète de la structure de financement
- L'utilisation de flux de revenus futurs, tels que des royalties, pour obtenir un prêt permettant d'accélérer la croissance
- L’obtention d'un financement non dilutif, notamment lorsque la volatilité des marchés complique la valorisation de l’entreprise, par exemple dans le cadre d’une succession
- La mise en place d'un financement d'urgence, nécessitant la mobilisation créative d'un ensemble d'actifs pour constituer une garantie suffisante
Une transformation durable du financement des entreprises
Il est donc évident que plus les banques se retireront de certains secteurs pour se conformer aux réglementations de Bâle, plus des opportunités s'ouvriront pour des financeurs agiles, capables d’adopter une approche économique libérée des contraintes réglementaires imposées aux banques. Le dernier accord de Bâle, souvent appelé Bâle IV (ou Bâle III « end game » ou encore Bâle 3.1), qui entrera en vigueur en 2025, s'inscrit dans la continuité des précédents en durcissant les contraintes, notamment par l’introduction de l’output floor (plancher de sortie), un sujet complexe qui fera l'objet d'une analyse future.
Dans ce contexte, les fonds de dette privée, et en particulier ceux spécialisés dans les crédits tactiques, verront des opportunités croissantes s’ouvrir à eux, ce qui ne pourra qu'être bénéfique pour ces acteurs.