L’attrait croissant des investisseurs particuliers pour le non coté est indéniable. Porté par des évolutions réglementaires (loi industrie verte par exemple) et de nouveaux formats juridiques (notamment ELTIF), l’accès aux actifs privés se démocratise à grande vitesse, avec un essor notamment des fonds dits evergreen. Pourtant, il est indispensable d’aborder cette classe d’actifs en prenant en compte sa caractéristique principale : le non coté est structurellement illiquide. Chercher à forcer sa liquidité pourrait altérer sa nature même. Pour maintenir leur succès à long terme, les fonds evergreen doivent répondre à de multiples défis.
Les performances du non coté reposent sur une caractéristique fondamentale : l’illiquidité. Cette contrainte permet aux entreprises financées de se développer sans pression à court terme, et aux investisseurs de voir les plans de création de valeur fructifier, un processus qui nécessite souvent plusieurs années. Cependant, avec la montée en puissance des fonds ouverts ou « evergreen », un paradoxe émerge. En cherchant à rendre liquide ce qui, par nature, ne l’est pas, des distorsions risquent de compromettre la dynamique de performance.
La courbe en J illustre parfaitement cette mécanique. Lorsqu’un investisseur entre dans un actif non coté, il traverse une phase initiale où les résultats peuvent sembler décevants car les plans de création de valeur n’ont pas pu encore eu le temps de se matérialiser. Cette phase peut durer typiquement entre 1 et 3 ans avant que la performance de l’investissement ne se concrétise. Autoriser des sorties précoces brise cette dynamique et prive potentiellement les investisseurs des bénéfices à long terme de ce type d’investissement.
Un autre défi majeur réside dans la pression pour déployer rapidement et efficacement le capital.Contrairement aux fonds fermés, où la performance se cristallise durant la période de détention de chaque actif, les fonds evergreen doivent en plus constamment réinvestir pour éviter une dilution des rendements. Cette pression sur lerythme de déploiement peut compromettre la discipline d’investissement et encourager des décisions opportunistes plutôt que stratégiques.
Les fonds evergreen ont un attrait potentiel, mais à condition d’être bien conçus. Ils peuvent offrir des performances supérieures grâce à la possibilité de réinvestir au sein de la même enveloppe, optimisant ainsi les rendements du portefeuille. De plus, la gestion simplifiée des engagements est attrayante : contrairement aux fonds fermés, ils ne nécessitent pas d’appels de fonds successifs, offrant ainsi un avantage opérationnel à l’investisseur final.
Cependant, ces avantages ne peuvent être pleinement exploités que si certaines précautions sont prises. Les fonds evergreen sont en fait des fonds d’une maturité de 99 ans, ils doivent donc offrir des fenêtres de sortie périodiques aux investisseurs, gérées de façon rigoureuse pour ne pas désavantager ceux qui choisissent de rester investis. Pour permettre ces sorties, les fonds evergreen crédibles doivent atteindre une taille critique et se baser sur une diversification solide, tant sectorielle que géographique. La clé du succès réside également dans la capacité à maintenir un portefeuille suffisamment diversifié pour générer des liquidités adéquates et fréquentes. Couplé à la pression déjà évoquée du déploiement, cela implique non seulement un accès constant et abondant à des opportunités d’investissement de qualité, mais aussi une véritable expertise sectorielle afin de déployer les capitaux de manière efficace et cohérente avec la stratégie du fonds. Peu d’équipes seront en mesure d’être bien positionnées sur cet aspect.
L’ouverture des marchés privés aux investisseurs particuliers est une avancée, mais elle nécessite une adaptation rigoureuse pour tenir ses promesses, notamment en termes de performance. La véritable démocratisation implique une éducation approfondie et des structures d’investissement respectueuses des fondamentaux du marché privé.Vouloir en faire un produit accessible à tout prix, sans ces adaptations, serait une erreur stratégique risquant d’affaiblir l’essence même du non coté et décevoir les nouveaux investisseurs. Soulignons donc l’importance de bien sélectionner les opportunités d’investissement proposées aux particuliers pour que cela soit un succès durable !